Malgré le fait que les bioréacteurs à membranes (BRM) soient largement appliqués au traitement des eaux usées, l’étude approfondie du vieillissement des matériaux membranaires dans les conditions d'exploitation des BRM à l’échelle industrielle est nécessaire afin de comprendre et anticiper celui-ci. Ainsi, l’objectif de ce travail vise à (i) comprendre l'action chimique de l'hypochlorite de sodium sur les fibres creuses commerciales de polyfluorure de vinylidène (PVDF)/polyvinylpyrrolidone (PVP) utilisées dans les BRM et (ii) décrire le vieillissement dans les BRMs traitant des eaux usées urbaines, sur la base de la caractérisation de membranes prélevées sur site et des indicateurs d’exploitation à l’échelle industrielle. Pour cela, des membranes ZeeWeed® 500D ont été vieillies à l'échelle laboratoire par trempage dans une solution d'hypochlorite de sodium (1000 ppm et pH 9.0) similaires aux conditions de nettoyage à l’échelle industrielle. Par ailleurs, des prélèvements de membranes ont été effectués entre 2016 et 2021 au sein des cellules membranaires de deux stations de traitement des eaux résiduaires urbaines (de capacités respectives de 50 000 et 300 000 m3/j). Les données d’exploitation ont été collectées et analysées en parallèle.
Les fibres creuses vieillies à l'échelle laboratoire et à l’échelle industrielle ont été caractérisées à l'aide de méthodes analytiques similaires et comparées en considérant leur dose d'exposition au chlore (C x t). De grandes différences ont été trouvées entre le vieillissement aux deux échelles. À l'échelle laboratoire, les membranes ont présenté des propriétés mécaniques stables. Trois phases distinctes ont été observées pour l’évolution de la perméabilité intrinsèque avec une augmentation jusqu’à une dose de 78 000 ppm.h (+ 90% de la perméabilité initiale) en raison de la dégradation de la PVP et de la formation de pores de petite taille (diamètre < 20 nm), suivi d’une diminution jusqu’à retourner à la perméabilité initiale (pour un 78 000 ppm.h < C x t < 150 000 ppm.h) en raison d’une décroissance de la porosité, probablement due à une restructuration des chaines de PVDF. Pour les C x t > 150 000 ppm.h, la perméabilité reste relativement constante autour de sa valeur initiale. À l’échelle industrielle, une diminution des propriétés mécaniques est observée en lien avec les conditions dynamiques des BRMs (filtration, aération, rétrolavages, etc.). De plus, une augmentation de la perméabilité est également observée (C x t < 98 000 ppm.h) en raison d'une oxydation/délogement plus prononcé des molécules de PVP en comparaison des membranes vieillies au laboratoire (25% vs 40% de la teneur initiale, respectivement), conduisant à une porosité plus élevée et à l'apparition de pores de plus grande taille (diamètre > 40 nm). Ces changements ont favorisé un colmatage irréversible important, en comparaison des échantillons issus des vieillissements à l’échelle laboratoire.
A l’échelle industrielle, l'indice de perméabilité (représentant le rapport flux de perméat/pression transmembranaire) mesuré après chaque nettoyage intensif diminue de l’ordre de 20% sur l’ensemble de la période de suivi, pour les deux installations étudiées. Cette baisse est fortement corrélée à la teneur en PVP et à la perméabilité intrinsèque des membranes, permettant ainsi d’identifier des indicateurs clés pour la surveillance du vieillissement des membranes en BRM.
Cette étude a montré que la compréhension des mécanismes à l'origine de l'action du NaOCl sur les membranes supportées en PVDF peut ne pas représenter ce qui se produit réellement lors d'un fonctionnement en BRM. Une contribution non négligeable des conditions de filtration/rétrolavage, de l'aération et du colmatage résiduel, spécifiques aux conditions d'exploitation sur site, peuvent modifier de manière significative les mécanismes de vieillissement. Des autopsies de fibres prélevées et la surveillance d'indicateurs de fonctionnement pertinents restent donc nécessaires.